Si aux détours de votre navigation fade mais
ininterrompue vous en venez invariablement à nous lire dans l’espoir tragique
que nous éclairions votre quotidien morose de dépressif extatique, ankylosé par
les hormones, le bon air parisien et la télé réalité; tout d’abord, je vous
remercie et vous accueille à bras ouverts, puisque comme moi, quelque chose
vous titille. Mais vous aurez peut-être noté que l’idéologie ici prônée est
plus proche d’un pseudo communisme marxiste à la sauce communarde que d’un
capitalisme dur prétendument libéraliste (voire libérateur pour certains). Si
nos attaques ne sont pas encore bien dessinées, la faute à un esprit encore
trop jeune et mal formé, martelé bien plus que de raison par les blagues
gauches d’un Gaston Lagaffe fumeur de pétards plutôt que par Les feus de l’amour version politico-militaire
d’un Choderlos de Laclos en rut mineur, nos intentions n’en sont pas moins
bonnes. Il s’agit pour nous de tenter de déceler puis d’exprimer cette boule
qui se loge au fond de notre gorge et qui semble s’agrandir à chaque fois qu’un
politicien ou un grand patron ouvre la bouche pour nous faire part de sa joie
irrépressible de mettre en œuvre un énième rapport qui sauvera la France et le
peuple et nous ramènera en des temps bénis où l’air était si bon et le chômage
moins élevé qu’aujourd’hui.
Tenez, en parlant de boule, c’est récemment un énarque
reconverti en politique qui nous gratifiait donc d’un rapport, accablant pour
changer. L’objectif des 22 commandements de M. Gallois, qui est présenté comme
un grand patron de gauche, ce qui constitue, à l’évidence, un antagonisme de
départ plutôt encombrant qu’on aura vite fait d’oublier étant donné que les
médias considèrent encore le Parti Socialiste comme un parti proche du
peuple ; l’objectif de ce rapport donc, est de relancer la croissance
française en berne par le biais de l’industrie, en berne également. Comme ça
nous est expliqué par M. Gallois, la situation est complexe : tous nos
problèmes (économiques, sociétaux, sociaux, écologiques) sont des sortes de
vases communiquant s’influençant les uns les autres. Sur ce point, M. Gallois
n’a pas tout à fait tort et il n’est pas le premier à nous tenir un tel
discours. Paul Ariès présentait déjà un argumentaire similaire à un Alain Madelin fort bien coiffé certes, mais plutôt décontenancé lorsqu’il s’agit de
parler économie et politique avec autre chose qu’un économiste ou un homme
politique.
C’est un peu plus tard que M. Gallois s’emmêle
les pinceaux et il n’est pas le seul. Avant lui, M. Attali (esprit supérieur
s’il en est) se trouvait lui aussi pris d’une confusion temporelle similaire.
Ces deux hommes nous servirent un discours et des idées ressassées bien plus
que de raison. Ils suivirent la mouvance populaire, surfant sur la vague passéiste
d’une mélancolie doucereuse mais trompeuse dont le but est de revivre une heure
de gloire passée dans le camp de la tyrannie depuis un bon moment. Se projeter
dans le passé afin d’avoir l’illusion d’un présent radieux. C’est dans l’air du
temps : le passé, c'est un peu comme ces photos prises avec votre téléphone
portable et passées au crible d’Instagram. C’est un idéal légèrement jaunit qui
rend tout plus beau, plus savoureux et qui nous inspire un brin de mélancolie
et l’illusion que le présent, c’est finalement le passé du futur.
Ainsi, on nous vend une époque dorée où
l’industrie était radieuse et notre économie prospère. Mais l’erreur de M.
Gallois est de se rappeler à notre bon souvenir. Il appuie son propos sur le
fait que l’industrie française a perdu près de 2 millions d’emplois depuis les
années 80 et que c’est pour cette raison que toi, gentil citoyen, tu dois
maintenant mettre la main à la poche pour la relancer cette salope d’industrie
et stopper cette hémorragie financière. Il oublie sans doute qu’à l’époque,
c’est M. Mitterrand, président de gauche s’il en est, qui, poussé par le désir irrépressible de
ressembler à son prédécesseur dont la classe et la majesté avaient éclaboussé
ses années de mandat, surfa sur la vague de privatisation et de mondialisation des entreprises
françaises, s’appuyant là encore sur un contexte économique exécrable. A la
suite de quoi, il apparaît comme évident que vos impôts ne serviront pas à
recréer des emplois puisque la France se tue à les supprimer, ces postes de
l’industrie, et ce depuis 30 ans.
M. Gallois se trompe donc d’époque. Lui n’a pas
pu suivre les récents enseignements du système éducatif français qui nous
martèle depuis des lustres que le secteur secondaire est en baisse et que c’est
normal puisque le tertiaire, plus adapté aux pays riches dont les populations
éduquées pourront à loisir vendre de l’assurance inutile ou travailler dans le
marketing, inutile également ; le secteur tertiaire donc, permettra d’éviter un
travail pénible qu’on aura le soin de redistribuer à des pays moins développés
dont les populaces, tier-mondistes de misère, accepteront n’importe quel
salaire pour peu qu’on leur laisse la chance de venir travailler tous les jours
avec femmes et enfants dans des conditions qui dépassent l’entendement humain.
Cette fièvre de confusion temporelle ne touche
pas que MM. Gallois et Attali (génie parmi les génies, je le rappelle parce que
c’est important). M. Ayrault semble en être frappé lui aussi ce qui le conduit
à vouloir marquer l’histoire et l’écosystème de la région nantaise au
fer rouge avec son Ayraultporc. Il tente certainement de faire écho à l’âme
révolutionnaire du français qui sommeille en nous depuis la prise de la
Bastille, la résistance pendant la seconde ou le Larzac. Acculé, le peuple
français possédait alors cet incroyable réflexe qui lui a permis de changer le
cours de l’histoire et de s’en sortir la tête haute. Mais à une époque perdue
entre tant d’écrans et d’images, il est probable qu’à l’instar de MM. Gallois,
Attali (ce génie) et Ayrault, nous ne savons plus très bien ce qui appartient
au présent et ce qui est déjà de l’histoire ancienne. Enfin, le rapport de M.
Gallois a au moins le mérite de contenter pleinement Mme Parisot, ce qui n’est
pas négligeable…