lundi 8 octobre 2012

Apologie du looser contemporain…


Sarkozysme et Méritocratie - Looser de l'entertainment - Marketing de l’échec - Confessions de Nick Clegg - Arnault VS Zuckerberg - Pendez-les!

En 2007, un élan méritocratique déferlait sur la France. Il fut si fort et si puissant qu’il conduisit à l’élection de notre grand, par ses ambitions, mais non moins nain dans ses valeurs, ex président (ce serait presque donner du crédit à la morphopsychologie).
Pendant que Pierre Bourdieu se retournait dans sa tombe, Nicolas Sarkozy, lui, affirmait avec solennité que l’un des problèmes de la France pouvait se résoudre grâce à la simple volonté de ses citoyens. En effet, si les chômeurs n’avaient pas de travail, c’est parce qu’ils ne voulaient pas travailler. Si les étrangers voulaient vivre en France, ils n’avaient qu’à le mériter. Entrecoupé d’une semaine sur le bateau de Bolloré et d’un footing bien mérité, il déclamait avec une rigueur kafkaïenne les préceptes individualistes de Tocqueville.  



Au diable donc ces assistés. Lui aiderait ceux qui désirent vraiment « s’en sortir ».
Suivirent donc un gloubiboulga de mesures cohérentes avec cette idée, telles que la défiscalisation des heures supplémentaires, le paquet fiscal (parce que, eux, ils s’en étaient vraiment bien sortis), l’article 7 qui vise à trier les étudiants étrangers (parce que la France tu la mérites ou tu la quittes). Etc…
Bref, la vague déferla, les goldens boys avaient la cote, le tabloïd Challenge se vendait mieux, les Experts MYamY faisaient de l’audience et David Vendetta le buzz… Ce fut l’ère des Winners.

Depuis quelques années, on observe un virage à 180 degrés.
Dans l’Entertainment d’abord. Est-il nécessaire de rappeler le succès de nos trublions nationaux Kjan Kojandi et Norman. Le premier, dépeint un personnage trentenaire, immature, bossant pour une compagnie de télémarketing, attachant mais sous-doué dans ses relations sociales et amoureuses. Le second, Norman, nous inflige les mêmes enjeux existentiels de son quotidien tout aussi merdique.

Aux Etat-Unis, nous avons l’embarras du choix.
Girls, la nouvelle série américaine retraçant l’entrée dans la vie active de quatre jeunes filles et de leurs rares (c’est un euphémisme) triomphes sur le marché du travail, cartonne outre-Atlantique.
Est-il besoin d’évoquer House et son addiction aux médicaments ou encore les névroses des Desperate Housewives.
Plus frappant encore, Christopher Nolan présentait en 2012 le film le plus attendu de l’année. The Dark Knight Rises, un super héro, un dur à cuir, un winner en somme. Eh bien non ! Dans ce volet, la chauve souris est faible, elle doute, elle renonce (putain ! Pourtant c’est Batman quoi !). 
Renoncement… c’est bien antinomique de super héro, non ? De même que capital et travail  ou encore artiste et Rihanna
Comme si le réalisateur avait anticipé l’attente des spectateurs.



La nouvelle série Girls

Même un Batman looser nous apparaît aujourd’hui plus séduisant qu’une enquête rondement menée du bellâtre Horatio Caine.  C’est dire !
 
Les grands manitous du marketing n’ont pas tardé à flairer le filon.
Le magazine Management titre sur sa Une du mois d’octobre : « se planter c’est le meilleur moyen de réussir ».
La célèbre marque Benetton a lancé une gigantesque campagne de pub sur « the  unemployee of the year », littéralement : « le chômeur de l’année ». Certains observateurs ont conclu à une stratégie pour toucher le petit pouvoir d’achat des chômeurs. C’est à mon sens une erreur. En France, plus de la moitié des actifs ont voté à gauche. En terme d’image, l’impact de cette campagne va au delà des chômeurs. Elle touche tous ceux qui doutent ou sont insatisfaits de leurs jobs actuels.


Campagne de pub Benetton



En politique cette fois, le numéro deux du gouvernement britannique, Nick Clegg, s’est excusé d’avoir approuvé la réforme des frais universitaires. En effet, le leader des libéraux-démocrates a publié le 19 septembre une vidéo dans laquelle il demande pardon à propos de sa promesse non tenue. Si même les politiques reconnaissent leurs erreurs... 

A fortiori, les entrepreneurs qui incarnent la réussite contemporaine font le panégyrique (oui, j’ai regardé sur Google) du looser. Fini le temps du costume trois pièces Armani et des mocassins Berluti de notre Belge national Bernard Arnault. Maintenant, Zuckerberg, lui, se pointe aux conférences en tongs Adidas et sweat Fila.


Le dandy Zuckerberg

Même si une certaine fascination pour la réussite demeure, on ne peut s’empêcher de constater qu’une nouvelle mouvance est née.
Qu'elle soit consciente ou non, cette volonté de dédramatiser l’échec, parfois même de s’en targuer est révélatrice des dysfonctionnements de notre société.
Le désenchantement du monde, l’argent érigé au rang de valeur, les mensonges de nos élites, la classe politique corrompue par le système financier ont, selon moi, créé ce phénomène, si anecdotique soit il.

Ce ne sont pas les inégalités qui rendent l’apathie si séduisante mais bien le constat que rien n’est fait pour les endiguer.

Alors, à vous chers « Winners », oui vous qui êtes peut-être en train de lire les cours de morale d’un jeune branleur prétentiard,  je veux vous dire : profitez ! Délectez-vous autant que possible de l’inertie que vous offre le système. Car, qu’importe les manœuvres, désormais la clameur gronde !

Gregoire

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